Cet artiste est tout sauf un inconnu pour les passionnés de sports équestres, car il a fait partie de l’équipe de France de saut d’obstacles pendant dix ans et a pratiqué la compétition pendant près de quarante ans. Avec sa fidèle et talentueuse jument Uélème, il a notamment participé à de nombreuses Coupes des nations, s’est classé deuxième du Grand Prix de New York et du championnat de France en 2001 et a remporté le Grand Prix Coupe du monde de Bordeaux en 2002 !
Vous l’avez sans doute reconnu : cet artiste n’est autre qu’Olivier Jouanneteau. Éleveur au sein de ses installations familiales au Haras de Villers, dans l’Oise où il est né, il est également inséminateur, entraîneur, mais aussi dessinateur, peintre et sculpteur.
Accueillant et chaleureux, Olivier Jouanneteau a accepté de partager ses passions avec Poney As. Interview.
Pour les jeunes lecteurs de Poney As qui, peut-être, ne vous connaissent pas, pouvez-vous revenir sur votre parcours de cavalier ?
Je n’étais pas destiné au départ à devenir cavalier professionnel. J’étais un cavalier amateur, comme mon père qui adorait le dressage et la chasse à courre. J’ai d’abord été formé dans un club hippique à côté de Clermont, dans l’Oise, par Gérard Delporte qui est devenu par la suite chef de piste international. Je participais alors à des concours d’entraînement locaux, puis j’ai évolué avec un Pur-sang de réforme jusqu’en classe B (à l’époque, il y avait quatre catégories de compétitions officielles nationales à cheval : A, B, C et D, la catégorie A correspondant aux épreuves Pro1 / Pro Élite actuelles, ndlr).
Après un bac scientifique, j’ai suivi la formation BTS « production animale » au CEZ de Rambouillet. L’instructeur de l’époque était Philippe Karl, j’ai donc pu bénéficier d’un enseignement supérieur tout en perfectionnant mon équitation. Mon diplôme en poche, je suis retourné travailler dans la ferme familiale, un élevage laitier, tout en développant en parallèle une activité de pension et de valorisation de jeunes chevaux. J’ai donc acheté des jeunes chevaux pour les former sur des épreuves de cycles classiques 4, 5 et 6 ans.
Cette activité a fini par prendre de plus en plus d’importance et, en 1996, quand j’ai repris l’exploitation agricole de mon père, j’ai cessé l’élevage de vaches laitières et ouvert un centre d’insémination artificielle qui était le premier à voir le jour au nord de Paris. J’ai pu débuter avec l’étalon Rivage du Poncel, qui appartenait à monsieur Paillot et qui venait faire la monte chez moi. Puis, passionné d’élevage, j’ai aussi acheté quelques juments poulinières.
Vous avez ensuite rencontré la jument qui va marquer à jamais votre vie de cavalier et d’éleveur, la fameuse Uélème.
J’ai eu la chance de croiser Uélème, qui appartenait à monsieur Millet. Il me l’avait confiée au travail à deux ans car elle se montrait assez difficile. Je l’ai donc débourrée, puis elle est revenue chez moi pour faire les cycles classiques. Elle s’est d’ailleurs classée dans les dix meilleurs lors de la finale des 6 ans à Fontainebleau et m’a permis d’aborder la belle compétition. J’étais toujours en deuxième catégorie, et l’année de ses 7 ans nous avons fait les B1 où elle s’est toujours montrée très performante. La saison suivante, j’ai pris une licence première catégorie et remporté deux ans plus tard le Critérium, ce qui nous a ouvert les portes de la compétition internationale. J’ai été sélectionné par l’entraîneur national Patrick Caron pour les grands concours internationaux en équipes et ai intégré l’équipe de France pendant dix ans. Uélème a été deuxième du Grand Prix de New York, elle a gagné le Grand Prix de Saint-Lô, celui de Vichy, de Franconville… C’était une formidable jument ! Parallèlement à sa carrière sportive, elle a débuté sa carrière à l’élevage par transferts d’embryons dès l’âge de sept ans. Elle a eu au total vingt-cinq poulains vivants, tous ayant très bien gagné, et a été meilleure poulinière française pendant plusieurs années.
Aujourd’hui, c’est une de ses filles ayant également couru en Grand Prix, Ma Petite Lulu, qui est la meilleure poulinière française sur descendance. J’ai encore cinq de ses filles chez moi qui produisent très bien, ainsi que des petites-filles et arrière-petites-filles. Uélème est la base de mon élevage !
Cavalier de haut niveau, éleveur, entraîneur et aussi artiste… D’où vient cette passion pour l’art ?
Je suis un autodidacte, mais il y avait dans la famille quelques artistes et nous avions une certaine fibre artistique ! J’ai toujours crayonné les chevaux et à l’école je faisais les caricatures de mes profs ! L’idée m’est venue un jour de dessiner moi-même la traditionnelle carte de vœux du haras en m’inspirant d’un fait marquant de l’année. À un moment quelqu’un m’a dit que cela serait bien que j’expose, mais je ne me sentais pas tout à fait prêt. Puis, étant impliqué dans l’organisation du concours international de Chantilly, j’ai été sollicité pour décorer l’espace VIP. J’ai donc commencé en 2010 et présenté mes premières grandes toiles. Parallèlement, j’ai aussi commencé la sculpture, que j’avais découverte lors de mon service militaire. Sur recommandation d’une personne qui avait aperçu mon travail à Chantilly, j’ai participé à ma première exposition animalière en 2013, à l’hippodrome d’Auteuil à Paris. Par la suite, j’ai exposé aussi à Bruxelles, à l’occasion de grands concours comme Genève ou Bordeaux, lors des finales jeunes chevaux de Fontainebleau et à Compiègne où j’ai pu mettre sur la piste mes grandes sculptures en acier qui s’intègrent bien dans le paysage et font en même temps office d’exposition permanente. Je continue bien sûr toujours à gérer mon élevage et ma structure qui est assez importante (180 chevaux, ndlr) et je fais de la sculpture et de la peinture le soir, surtout l’hiver car les journées sont plus courtes. Pendant que certains regardent la télévision le soir, moi je barbouille !
Vous êtes autodidacte, mais certains artistes vous ont probablement inspiré ? Lesquels sont-ils ?
En effet, de nombreux grands maîtres de la sculpture et de la peinture m’ont inspiré. En peinture, j’adore Alfred de Dreux qui était le peintre officiel de Napoléon III, René Princeteau qui a été le premier maître de Henri de Toulouse-Lautrec, ou encore Yves Benoist-Gironière. Parmi les sculpteurs, j’aime beaucoup François Pompon et Édouard-Marcel Sandoz qui ont un style assez épuré et où les choses sont évoquées.
L’art et la méthode
Olivier Jouanneteau nous a présenté plus en détails les techniques adoptées pour réaliser ses œuvres.
Les sculptures
Je fais des sculptures en bronze. Les bronzes d’artistes sont édités en douze exemplaires. Une fois que les douze exemplaires sont vendus, c’est terminé, il n’y a pas de nouvelle édition. Je crée d’abord un original en terre ou en cire, ensuite la fonderie avec laquelle je travaille réalise un moule en élastomère à partir duquel sort le bronze. Le procédé utilisé est celui du moulage à cire perdue, qui nécessite plusieurs étapes auxquelles j’assiste à chaque fois. La cire est coulée à l’intérieur du moule puis elle est retouchée après démoulage. Le bronze est ensuite coulé, ciselé et patiné. Pour faire une sculpture en terre prête à aller à la fonderie, il me faut environ huit jours de travail.
Les silhouettes
Les silhouettes sont en acier découpé au laser. Elles sont tirées d’un dessin original qui est numérisé par un professionnel. Des prototypes sont réalisés à partir du dessin numérisé puis corrigés et rectifiés afin de rester le plus fidèles possible au modèle. Une fois le prototype définitif validé, la silhouette est éditée, soit en grande taille (comme celles exposées sur le terrain de Compiègne), soit en miniature pour faire des trophées ou de la décoration. Les silhouettes peuvent être en laiton patiné comme du bronze ou en acier recouvert de peinture époxy.
Les peintures
Les peintures sont à l’acrylique sur de la toile de lin enduite. Je dessine d’abord l’esquisse à la verticale puis je peins à l’horizontale. Je dilue beaucoup ma peinture avec de l’eau, ce qui lui donne cet effet un peu diffus qui ressemble à l’aquarelle. Une peinture me demande entre deux et trois soirées de travail ou parfois beaucoup plus en fonction des détails.
En plus de vos activités d’éleveur et d’artiste, enseignez-vous ? Et quel regard portez-vous sur l’équitation à poney ?
Oui bien sûr ! Je fais travailler les cavaliers qui montent mes chevaux et des gens viennent chez moi pour prendre des leçons. L’enseignement me passionne, j’aime faire progresser les chevaux et les cavaliers. Mes enfants sont montés à poney, mais quand j’allais dans les concours poney où j’entendais hurler et où je voyais une équitation qui ne ressemblait pas à grand-chose, cela ne correspondait pas à ma conception de l’équitation. Je trouve que le savoir s’est perdu, peu de jeunes cavaliers qui gagnent en concours sont capables de dresser un cheval et de le mettre dans le bon sens. Je trouve aussi que la compétition est devenue un bien de consommation : une fois que le cheval est cassé parce qu’on n’a pas su bien le travailler, on le change… Le pire, c’est qu’il y a une incompétence des gens qui enseignent, ce ne sont plus des moniteurs mais des animateurs, incapables de monter sur le poney pour montrer à l’élève comment faire et incapables de le dresser. Ce constat n’est évidemment pas spécifique au monde du poney. Il faudrait que les enfants commencent par un enseignement qui les mette dans le bon moule, et alors cela irait bien mieux. Nous devrions nous inspirer de ce qui se pratique aux États-Unis où les jeunes cavaliers commencent tous la compétition par le hunter. Heureusement, il y a encore des gens qui ont du talent et qui s’occupent bien à la fois du travail du cheval et de la formation des cavaliers. Et quand les jeunes cavaliers poneys montent à haut niveau, c’est de la belle équitation miniature !
Sandrine Febvet
Article publié dans le magazine Poney As de juillet 2023