L’élevage de Vuzit : la passion dévorante mais raisonnée de Stéphanie le Marec (2/2)
« L’élevage, c’est ma passion, ma passion dévorante. Il faut garder en tête qu’il ne faut pas partir dans des choses complètement délirantes et rester les pieds sur terre, mais il est vrai que mon élevage fait partie de ma vie, il est dans mes tripes. Il y a aussi cette passion pour la terre, j’aime la campagne. Le soir, même s’il y a des coups durs durant la journée, j’aime aller faire un tour dans mes champs auxquels je tiens énormément et observer les mamans avec leurs petits. Mes parents ne sont pas éleveurs, je ne sais pas trop d’où ça vient pour tout vous dire… ». Deuxième volet de l’interview de Stéphanie le Marec, jeune éleveuse bretonne passionnée, dont l’aventure a démarré en 2005.
PA : Outre la richesse de vos lignées maternelles, les étalons que vous utilisez sont des pères confirmés ou des performers au plus haut niveau. Est-ce tout cela votre marque de fabrique ?
SLM : Oui, j’utilise des performers ou des pères reconnus. J’ai toutefois choisi Quabar des Monceaux lorsqu’il avait 4 ans, après l’avoir vu lors d’une présentation. Je suis particulièrement attachée à la souche basse : je m’attarde sur la production de la mère, la grand-mère… J’aime les souches très fournies, avec des collatéraux qui performent.
PA : Est-ce difficile aujourd’hui de trouver un excellent étalon Connemara ?
SLM : Je dois reconnaître que ce n’est pas évident car il y en a très peu. Il y a de très bons élevages de Poneys Français de Selle en France, mais je tiens vraiment à rester dans la race Connemara que j’affectionne tout particulièrement, et essayer de me démarquer un peu. Par le passé, nous avions pas mal d’élevages de poneys Connemara qui produisaient de très bons poneys de sport. Ils disparaissent petit à petit et je trouve cela dommage. J’essaie de garder le cap et de continuer à produire en race pure, même si cela ne me dérange pas de faire quelques croisements. J’aime le poney de sport en général.
PA : Du tac au tac, quel est votre Top 5 des étalons Connemara faisant actuellement la monte ?
SLM : Je vais les citer dans le désordre. Je pense à Goliath van de Groenweg (vice-champion de la finale individuelle des championnats d’Europe de CSO en 2014, ndlr). J’ai fait beaucoup de recherches sur sa production : elle est encore confidentielle, mais elle a l’air qualiteuse. J’estime qu’il peut être un très bon père et espère ne pas me tromper car je lui ai confié pas mal de juments. Dexter Leam Pondi bien sûr, qui a très bien produit, notamment avec des juments qui ont du sang. Leadership est l’un des meilleurs, mais peut-on le citer car il n’est pas distribué ? J’ai encore quelques paillettes de lui que je garde précieusement. Me vient à l’esprit aussi la fantastique génétique d’Idefix du Villon SL. Et puis un cinquième… Instinctivement, je ne vois pas… Vous aurez donc mon Top 4 (rire).
PA : Parmi les pères de mères, quels étalons affectionnez-vous tout particulièrement dans un pedigree ?
SLM : J’aime beaucoup Moyglare Bruff. Il apparait dans les pedigrees des mères Ar Crano que j’ai trouvé toutes assez similaires. J’aime aussi retrouver Apollon Pondy en père de mère, ainsi que Ready IV bien sûr, c’est un papier qui est plutôt rare maintenant.
PA : Des idées de croisement pour l’année prochaine ?
SLM : Je remets Goliath, c’est sûr, ainsi que Roughan Sparrow sur Callista. Et puis des petites surprises qui je l’espère aboutiront…
PA : Avez-vous des demandes de réservations in utero ?
SLM : Oui cela m’arrive, assez souvent même, mais je ne le fais pas. En ce moment d’ailleurs, j’ai pas mal de demandes venant d’Irlande.
PA : Quelle est la raison ?
SLM : Mes croisements, je les rêve. Si je vendais mes poulains in utero, j’aurais l’impression que toute cette belle aventure m’échappe un peu. Mon but est de voir grandir mes poulains, pouvoir les juger. Et puis tout ne se passe pas comme prévu, il y a tant d’aléas en élevage : je préfère vendre un poulain en bonne santé et bien fait.
PA : Quel est votre objectif ? Produire des poneys de haut niveau, des poneys pratiques pouvant amener les enfants sur de bonnes séries, ou bien concilier les deux ?
SLM : On va dire les deux, j’essaie de combiner tout cela. L’objectif est de produire des bons poneys, avec des moyens, de l’équilibre et de l’action, bien dans leur tête. Il ne faut pas oublier que les poneys sont destinés aux enfants. Les enfants doivent se sentir en sécurité et trouver leur place assez vite, c’est la clé de la réussite me semble-t-il. Avoir de belles juments dans les prés, de beaux poulains avec des papiers qui me plaisent est merveilleux. Je souhaite vraiment que cela reste un loisir. Je ne veux pas avoir cette pression de devoir vendre à tout prix. Je veux me faire plaisir avant tout.
PA : La Bretagne est une excellente terre d’élevage. Qu’en est-il du circuit de valorisation des jeunes poneys ?
SLM : Oui, c’est une super région pour élever. Ce qui est dommage, c’est la valorisation. Ce n’est pas simple. Notre circuit breton est très pauvre, il faut donc faire énormément de kilomètres. Nous allons donc régulièrement en Normandie pour sortir nos poneys. On s’aperçoit que les normands on cette possibilité de préparer leurs poneys pour les finales, ils ont des vraies pistes. C’est ce qu’il nous manque en Bretagne.
PA : En parlant de Bretagne, où les concours de modèle et allures de poneys Connemara recensent une belle fréquentation… Vos poneys sont-ils engagés sur ce genre d’épreuves ou est-ce quelque chose dont vous faites aisément l’impasse ?
SLM : Mes poneys ne sortent pas beaucoup en concours de modèle et allures, mais par manque de temps. Malgré tout, engager sur ce type de concours nécessite de la préparation. J’essaie quand je le peux d’aller au régional Connemara de Lamballe et en général, mes poneys sont plutôt bien classés. Je me dis que j’élève des Connemara qui ressemblent à des Connemara (rire). Ard a gagné une belle classe de poulinières suitées. Elvina a remporté une classe des pouliches, elle avait beaucoup plu aux juges car elle s’était très bien déplacée. Je ne vais pas sur les autres régionaux, mais c’est vrai qu’à Lamballe, il y a toujours de beaux lots de poneys. C’est bien d’aller se confronter, de voir ce qui se fait dans les autres élevages et d’avoir le jugement d’un œil extérieur. Et puis cela fait une sortie et c’est instructif pour les poneys.
PA : Un sujet qui fait souvent débat… Pour vous, un poney de sport peut-il allier le fort potentiel sportif et le modèle ?
SLM : Ah oui tout à fait, c’est complètement compatible. On peut s’orienter vers une production de poneys de sport tout en respectant les critères du standard de la race.
PA : Le choix de faire valoriser vos poneys par une cavalière professionnelle, en l’occurrence Pomme Cilote, est une démarche professionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
SLM : Pour moi, c’est indispensable, mais ce n’est que mon avis. Faire naître est tellement compliqué, il y a tellement d’aléas au quotidien que je ne peux pas laisser cela au hasard. Le fait qu’un jeune poney soit débuté par un cavalier professionnel est primordial à mes yeux. Quand l’enfant va prendre le relais, le poney sera dressé, aux ordres et à l’écoute : il va tout de suite trouver les boutons et sa place.
PA : Comment les poneys de Vuzit sont-ils démarrés ?
SLM : Le débourrage est réalisé chez Pomme Cilote, à 3 ans. Je connais mes poneys, mais elle les voit encore sous un autre angle car elle leur demande autre chose. Nous échangeons énormément là-dessus. Nous effectuons un bon débourrage et il nous arrive de leur faire sauter une petite ligne à la fin, pour voir comment ils réagissent, tout simplement. Nous les remettons au champ et à 4 ans, l’objectif est de les mettre sur un tour à l’extérieur, pas forcément officiel d’ailleurs. Les poneys ne démarrent sérieusement qu’à 5 ans.
PA : Travaillez-vous depuis toujours avec Pomme Cilote ?
SLM : Oui, depuis toujours. Je lui ai envoyé Tygann (gagnant en Grand Prix, notamment celui du CSIP de Chazey-sur-Ain en 2018, IPO 167) et nous avons dans la foulée poursuivi cette collaboration. Tygann a démarré avec Pomme, à 6 ans. Je savais qu’il était bon, mais ne savais pas où le mettre. Une amie m’a conseillé Pomme que je ne connaissais pas bien : sa monte très précise et ses poneys aux ordres, m’ont complètement convaincue. Nous nous sommes tout de suite bien entendues et travaillons en toute transparence. Financièrement, c’est un vrai coût, donc il faut que le poney en vaille le coup. Nous voyons donc ensemble les objectifs de chacun et nous les sélectionnons au préalable. A 3 ans, ils partent au débourrage : nous sommes assez critiques et essayons de sélectionner les poneys qui vont au moins avoir le potentiel de faire les 6 et les 7 ans. Assez rapidement, elle me dit si la valorisation est appropriée.
PA : Si vous avez un poney qui n’a pas ce potentiel là, vous le vendez ?
SLM : Oui, l’avantage du poney Connemara est sa polyvalence. S’il n’a pas les capacités d’aller faire les belles échéances, il va quand même trouver sa place dans d’autres disciplines ou faire autre chose. C’est un poney bien dans sa tête, gentil et facile. Cette polyvalence m’a d’ailleurs toujours séduite.
PA : A contrario, si le jeune poney a vraiment du potentiel, l’objectif est de le conserver un minimum ?
SLM : Il fera les 6 et les 7 ans avec Pomme et sera commercialisé. L’objectif est de bien le préparer pour que derrière il soit facilement utilisable par un enfant. Au final, peu importe l’âge de la vente, mes poneys ne sont pas systématiquement vendus à 7 ans. Vaughann, par exemple, est parti à 6 ans. Cela dépend des offres et des projets des cavaliers.
PA : Vous faites très régulièrement référence aux indices de vos poneys (IPO, BPO). Les considérez-vous comme un outil de sélection ?
SLM : Je les trouve intéressants, même s’ils ne vont pas être déterminants dans mes choix de croisements finaux. Que ce soit dans mes choix d’étalons ou de souches maternelles, j’aime la génétique confirmée. Quand j’utilise des étalons, je souhaite qu’ils soient confirmés sur la production ou qu’ils aient une génétique très solide en souche basse. Je vais donc être assez sensible à ces indices.
PA : Si l’on vous dit Vaughann de Vuzit, vous répondez quoi ?
SLM : Crack !
PA : Avez-vous toujours cru en ce poney ?
SLM : Oui, il ne m’a jamais déçu. Il n’était pas étalonnable car il était monorchide, c’est peut-être la seule petite déception, mais aurait-il eu la même carrière ? Ce n’est pas dit…
PA : Comment était-il jeune ? Avez-vous des anecdotes ?
SLM : Vaughann sortait vraiment du lot, c’est un poney à part… Lorsque je l’ai emmené à Pomme, elle m’a tout de suite dit « il n’est pas comme les autres ». En revanche, c’était un poney très trouillard. Lors d’une séance avec Pomme, il a par exemple sauté un obstacle et deux foulées après, sauté quelque chose qui sortait de son imagination. En allant voir de plus près, c’était une brindille… Il pouvait avoir peur d’un crottin ou avoir des réactions qui nous laissaient penser qu’il n’était pas serein. Par contre, dès qu’il sautait, il s’enclenchait tout de suite. Nous n’avions pas besoin de le faire sauter beaucoup à la maison, le but était de le garder en forme. Dès qu’on le sortait, c’était une machine à sans-faute : à 5 ans, il compte 100% de sans-faute, à 6 ans, il est 2e de la finale. Tout était facile avec lui. A la maison, il a fallu être patient, comprendre que c’était de la trouille et pas de la bêtise ou de la méchanceté. C’est un poney qui n’aurait pas réussi avec un cavalier qui se serait énervé.
PA : Comment s’est passé la rencontre avec Anna ?
SLM : A l’issue de la finale des 6 ans, Florence, la maman d’Anna, nous a contacté et nous a présenté le projet de sa fille alors âgée de 8 ans. J’ai eu quelques doutes doute car Anna était vraiment toute jeune – ses pieds ne dépassaient pas des quartiers – et je souhaitais le meilleur pour lui. La valorisation est importante, mais elle doit se poursuivre en trouvant le futur bon propriétaire et cavalier. Son projet était séduisant, elle avait des ambitions. Avec Pomme, nous savions que nous avions le poney pour, alors nous avons tenté l’essai qui s’est d’ailleurs très bien passé. Lorsqu’Anna l’a essayé, il était déjà dans un moule et très bien dressé, elle a tout de suite trouvé sa place. En plus, Pomme est vraiment très douée à pied pour mettre l’enfant dans le confort. Pour Vaughann, le fait de repasser avec Anna sur des petites séries a je pense été très bénéfique, il s’est endurci en ressautant des petites hauteurs. Beaucoup de jeunes poneys sont très généreux et passent malheureusement à côté de leur carrière car leur entourage brûle les étapes. Ils ont progressé et grandit ensemble. Ils se connaissaient par cœur. Après chaque concours, je recevait des nouvelles par sa maman, un message, des vidéos et des photos. Avoir la petite pensée pour l’éleveur est très sympa, cela me fait vraiment plaisir. Je voulais passer le relais à des gens qui allaient en prendre soins et il a vraiment été chouchouté.
PA : Avez-vous vu Vaughann sur les terrains de Grand Prix avec Anna ?
SLM : En 2020, juste avant le confinement, j’ai eu la chance de pouvoir le voir au Jumping de Bordeaux. J’avais offert un billet à mon papa qui est fan des grosses compétitions de chevaux, mais en réservant, je ne savais pas encore si Vaughann allait être sélectionné pour la Super As. Ça a été la cerise sur le gâteau ! Nous avons pu le voir sur ses tours (deux remises des prix), puis au box et discuter avec Anna et Florence. C’était un super moment.
PA : Vous nous parlez de votre père, vos parents étaient-ils dans le milieu du cheval ou pas du tout ?
SLM : Non pas du tout, personne de ma famille n’est dans ce milieu, c’est ma propre passion. Mon père aimait bien les chevaux et ma grand-mère était agricultrice, donc ma maman a sans doute hérité de cette fibre pour l’élevage. Mes parents m’aident énormément, je leur suis très reconnaissante. Dans les bons et les mauvais moments, ils sont d’un grand soutient.
PA : Votre passion est donc devenue une passion partagée en famille…
SLM : Exactement. Après le titre de Vaughann dans la finale des 5 ans, nous avons fait une petite fête en famille. Nous habitons quasi tous dans le même patelin et tout le monde aime suivre les aventures des poneys de Vuzit.
PA : L’élevage que vous avez bâtit, c’est votre vie… Vos poneys, c’est votre sang ?
SLM : C’est ma passion, ma passion dévorante, oui. Il faut garder les pieds sur terre et ne pas partir dans des choses complètement délirantes, mais il est vrai que mon élevage fait partie de ma vie, il est dans mes tripes. Il y a aussi cette passion pour la terre, j’aime la campagne. Le soir, même s’il y a des coups durs durant la journée, j’aime aller faire un tour dans mes champs auxquels je tiens énormément et observer les mamans avec leurs petits. Mes parents ne sont pas éleveurs, je ne sais pas trop d’où ça vient pour tout vous dire…
PA : De votre grand-mère maternelle sans doute ?
SLM : Oui très probablement, nous sommes issus d’une famille agricole et elle nous a transmis cet amour de notre coin, de nos terres…