Camille Judet Cheret : « Le circuit Jeunes est une expérience accumulée inégalable »
De nombreuses fois sélectionnée en équipe de France chez les Jeunes, l’histoire de Camille Judet Cheret a débuté aux côtés de son poney Etel du Martray. Aujourd’hui à la tête de Pamfou Dressage avec Corentin Pottier, la dresseuse semble lancée pour atteindre le plus haut niveau. Dans cette interview, elle se remémore ses débuts et analyse sa discipline.
Poney As : Parle-nous de ta rencontre avec Etel du Martray…
Camille Judet Cheret : En réalité, je ne montais pas du tout à poney bien que je suis une enfant de professionnels ayant grandi dans une écurie. J’étais très forte pour natter et panser mais beaucoup moins dans la pratique. Je préférais faire de la danse ou encore du piano. La rencontre avec Etel n’était pas du tout prévue ! J’étais une enfant extrêmement scotchée à ma mère, je la suivais lors de ses déplacements professionnels notamment lors d’un essai d’Etel pour une cavalière de nos écuries… Mais, lors de ce fameux essai, son entraineur m’avait demandé de le monter sauf que je ne savais même pas faire du trot enlevé. J’étais face à ce vrai poney de sport avec beaucoup de tempérament et de sang. Je suis tombée amoureuse d’Etel après avoir vaguement fait deux tours de trot. Les jours suivants, je tannais ma mère pour qu’on l’achète mais elle ne voulait pas car je ne montais pas à cheval. Elle était arrivée à court d’arguments lorsque la cavalière, potentielle acheteuse, s’est désistée. Je n’étais pas une enfant capricieuse alors en tant que professionnelle, elle s’est dit que si je ne souhaitais plus monter dans les mois à venir, elle pourrait le revendre. Nous en sommes où nous en sommes, il est toujours parmi nous aux écuries ! D’ailleurs, mon second poney Bjirmen’s Tsjalling est avec lui (avec ce poney néerlandais, Camille s’est classée 14e de la finale individuelle des championnats d’Europe de Pratoni del Vivaro en 2005, ndlr).
P.A : Comment as-tu vécu tes premières sélections chez les bleus ainsi que ton premier championnat d’Europe en Irlande en 2003 ?
C.J.C : Tout est allé assez vite. J’ai couru ma première saison de concours en 2001 sur des épreuves assez petites. À 12 ans, j’ai débuté les Grands Prix et vécu mes premières sélections. Je faisais cela pour m’amuser avec mon poney et ma famille, notamment avec ma mère, qui est aussi mon entraineur, et m’a accompagné absolument partout, le tout sans pression. Mais en parallèle, j’étais très assidue et travailleuse. Je me souviens de mon premier concours international en Belgique dans un manège assez confiné. Etel avait peur d’absolument tout. J’ai déroulé ma reprise sur un carré de 18×50 au lieu d’un 20×60. Mes notes ne volaient pas haut, j’ai dû avoir 49% pour ma première épreuve internationale. Pourtant le soir, je disais à ma mère que je pouvais encore me qualifier pour la finale où les 15 meilleurs duos étaient retenus. J’avais donc des objectifs et l’envie de progresser mais je ne me disais pas que je devais absolument être sélectionnée pour les championnats d’Europe. Évidemment, c’est du sport très sérieux, mais j’étais jeune et n’avais que 12 ans, je garde vraiment ce souvenir de plaisir. Jusqu’à très tard et même adulte, je n’étais pas dans l’objectif de travailler avec les chevaux. Je ne me voyais pas comme une professionnelle même si je faisais des dossiers pour trouver des partenaires (rires !). Ma première convocation en Irlande était bien évidemment du sport mais aussi une aventure : celle d’être sélectionnée, partir avec sa bande d’amis faire ce que l’on aime. Chaque soir, on se retrouvait avec l‘équipe de saut d’obstacles et celle du Concours Complet à l’hôtel. Il y avait toute cette excitation d’être tous ensemble et de vivre l’expérience. Il y avait notamment Alizée Roussel avec qui j’ai fait toutes mes années à poney.
P.A : Ancienne étudiante à Science Po Lille puis au Royaume-Unis, comment as-tu fait pour garder un pied dans le milieu équestre ?
C.J.C : J’ai participé à tout le circuit Jeunes, mais devenir professionnelle n’était pas ce que je souhaitais. En parallèle de mes études, je rentrais tous les week-ends pour m’occuper de mes chevaux et aller en compétition. Je n’ai jamais décroché mais étant enfant de professionnels, j’avais aussi vu le mauvais côté du métier. Je m’étais dit qu’il valait mieux faire autre chose et avoir des chevaux à côté. Je ne voulais pas dépendre des équidés pour gagner ma vie, la partie économique était un frein. Petit à petit, j’ai commencé à faire du commerce de chevaux en même temps que mes études et à approcher ce métier sous un nouvel angle.
P.A : Aujourd’hui cavalière professionnelle et détentrice du diplôme d’Etat de la Jeunesse Populaire et du Sport – Athlète de Haut Niveau mention « dressage », explique-nous l’aventure de Pamfou Dressage…
C.J.C : La propriété de mes parents basée en Seine-et-Marne qu’ils ont depuis 1978 a été mise en vente lorsque je suis partie faire mes études. Récupérer les installations n’était pas dans mes plans mais visiblement, les plans sont faits pour être contournés ! J’ai rencontré Corentin Pottier sur les terrains de compétitions. Lors de nos années étudiantes, nous vivions le même rythme de vie entre études et équitation bien que nous ayons tous les deux décidé d’avoir des métiers ayant aucun lien envers les chevaux. Assez vite, nous avons changé notre fusil d’épaule tout en nous disant que notre bagage scolaire pouvait nous aider dans notre vie équestre. Il a été un facteur déterminant dans cette aventure car je ne me serais probablement pas lancée seule. Nous avons alors ensemble décidé de reprendre et développer cette institution qu’avaient mes parents avec une approche nouvelle. C’est une propriété avec beaucoup de cachet. Corentin me disait de ne pas passer à côté de la chance qu’on avait d’avoir une structure comme celle-là où les chevaux si sentent si bien. Il me disait : « On doit presque à Pamfou de le faire vivre et continuer l’aventure ». Historiquement, c’était une écurie de propriétaires qui est devenue aujourd’hui une petite partie de notre activité. Nous sommes davantage axés sur la compétition de haut niveau et sur le commerce de chevaux de dressage. Nous enseignons également, ce qui est aussi une grosse partie de notre quotidien.
P.A : Compétitrice à Poney, en Juniors et en Jeunes Cavaliers, penses-tu que si tu n’avais pas suivi ces circuits, cela aurait été impossible de revenir à ce niveau de compétition ?
C.J.C : Sans aucun doute ! Le circuit Jeunes est une expérience accumulée inégalable. Nous étions très régulièrement en concours, le staff fédéral nous poussait à courir des internationaux. Chaque mois, j’étais à l’étranger pour engranger de l’expérience. Voir les autres cavaliers plus forts que nous nous donnait envie de progresser, d’avoir de meilleurs chevaux pour arriver à haut niveau. Ces kilomètres au compteur ont une valeur inestimable. À 15 ans, je n’avais aucun stress de dérouler mon premier Grand Prix avec Warkantos sur du CDIW, cela est dû à toute mon expérience à poney. Je pense que ces années ont été déterminantes pour ma carrière. Je sais que le circuit Enfants détourne un peu l’attention du circuit à poney mais je continuerais de les soutenir. Ça rend l’équitation et le sport très accessibles sur le plan physique avec des poneys de très bonne qualité. Mes deux poneys étaient dressés au Saint George, j’ai tout appris avec eux ! Je leur dois tout. Puis, à 21 ans, j’avais déjà l’expérience de plusieurs championnats d’Europe, cette expérience aide toujours auprès des clients ou des partenaires. Cependant, avoir cette vitrine ne suffit pas ! Il faut aussi savoir perdurer et amener des chevaux à un bon niveau. Faire un championnat Jeunes Cavaliers n’est pas le tout, beaucoup de cavaliers disparaissent après.
P.A : Comment analyses-tu ta discipline en France ?
C.J.C : Je pense que le dressage est sur une bonne voie bien qu’on trouve toujours que ça ne va pas assez vite. Évidemment, tant que nous ne serons pas les meilleurs, la route sera encore longue. Mais je vois notamment une évolution dans le commerce de chevaux destinés au concours. On vend des chevaux dont la qualité est meilleure chaque année, les cavaliers se rendent comptent que le sport évolue, que pour être compétiteur et ce, même en Amateur, il faut de meilleurs chevaux. Les acheteurs commencent à investir dans notre sport car on voit de plus en plus de résultats. Cela commence également à être très difficile de rentrer dans une équipe de France que ce soit en Juniors, Jeunes Cavaliers ou Séniors ce qui est plutôt la preuve que le dressage avance. Il y a plus de dresseurs et plus de compétitions aussi ! La qualité des prestations sportives proposée est bien meilleure. Lors de mes années à Poney et en Juniors, je me souviens qu’il y avait très peu de concours internationaux. Nous étions obligés de prendre le camion et de passer les frontières, nous n’étions jamais en France car il n’y avait pas le nécessaire pour être compétitif. Pour apprendre et se frotter à la concurrence, il fallait aller à l’étranger. Aujourd’hui, il est possible de faire plusieurs CDIP dans l’année tout en restant en France et en ayant un bon niveau avec des juges compétents. Le sport est devenu plus proche et accessible au cavalier.
P.A : Nous entendons souvent que les Pays de l’Est sont plus doués en dressage. Qu’en penses-tu ? Faut-il partir à l’étranger pour progresser ?
C.J.C : Ma réponse est assez mitigée. Sur le circuit Jeunes, on voit beaucoup de cavaliers français avoir des entraineurs en Hollande, en Belgique ou en Allemagne sans que ce soit une garantie d’être performants. Il faut bien se rendre compte qu’il y a en France des professionnels très compétents comme il y a à l’étranger des professionnels médiocres. La nationalité seule ne suffit pas à déterminer la qualité technique. Mais, c’est évident qu’il est constructif d’élargir ses horizons et de voir d’autres méthodes de travail sans tomber dans ce piège de « tout ce qui vient de l’extérieur est formidable ».
P.A : Quel est ton plus beau souvenir ?
C.J.C : Sportivement, avoir été 7e au championnat d’Europe en Jeunes Cavaliers a été assez magique. Nous étions au Pays-Bas en 2009, je m’en rappelle très bien puisque la compétition avait lieu le week-end de mon anniversaire. Tous les bleus étaient réunis autant pour souffler mes bougies que pour ma performance. Je ne peux pas oublier ce moment ! Le même scénario s’est reproduit neuf ans plus tard, même lieu, même date : la sélection inattendue de Dancing Highness JCD pour les championnats du Monde il y a deux ans où Corentin et moi avons pris part à l’aventure. À l’origine, l’objectif n’avait été de sélectionner que Corentin et Gotilas du Feuillard, notre 7 ans… Cerise sur le gâteau, la 6 ans que je montais l’a aussi été. Mais l’achat de mon poney Etel du Martray reste magique car cela a déterminé tout le reste. S’il n’y avait pas eu ce jour, je n’en serais pas là aujourd’hui !
Propos recueillis par Léa Tchilinguirian