Cathy Olivier-Lecomte : « Certains rêvent de devenir président de la République, moi je rêvais de participer à un championnat d’Europe »
Cathy Olivier-Lecomte : C’est à la fois un hasard sans l’être. J’ai toujours aimé les chevaux et les concours. Mon père a monté des installations pour mon ex-mari et moi à Coulommiers, en Seine-et-Marne. En 1989, je me suis retrouvée à gérer l’intégrabilité des écuries : j’ai eu une vraie révélation. Je me suis rendue compte que j’adorais transmettre, même au-delà de monter à cheval. Mon premier élève champion de France, Michael Régal, a couru avec une ponette B, Viennoise, et a gagné le championnat de France B1 en 1995. Puis, chaque année, j’ai eu au moins un podium pendant dix ans. J’y allais à chaque fois sans confiance en moi. Finalement, je repartais avec des médailles. J’ai eu la chance de travailler avec Francis Rebel, ancien entraineur national des poneys, qui m’a beaucoup enseigné. Certains rêvent de devenir président de la République, moi je rêvais de participer à un championnat d’Europe, sans forcément gagner mais y mettre les pieds ! J’ai commencé le haut niveau avec Amir de la Rochere qui était monté par Anastasie Fesneau, en 1999. Ensemble, ils sont entrés en équipe de France, ont participé à la Coupe des nations de Vérone et ont gagné le CSIP du Touquet. Mon premier championnat d’Europe a été avec mon fils, Nicolas Porte associé à Ulma du Latou, en 2003, en Irlande. C’est ma plus belle joie et fierté, il s’est classé quatrième par équipe, et j’ai pu faire mes premiers championnats d’Europe en tant que coach ! Je ne pensais pas avoir six autres sélections derrière. Mais, à partir de ce moment-là, chaque année, j’ai toujours eu un ou deux élèves dans cette fameuse liste de l’équipe de France.
C.O-L : Je n’ai pas tout de suite su que ce serait un tel poney ! Lorsque j’ai récupéré Jimmerdor après les championnats d’Europe de Saumur qu’il avait couru avec Morgane de Chastenet, je n’étais pas consciente d’avoir un crack et de sa personnalité. Avec lui, j’ai appris ce qu’était un potentiel, un mental et une personnalité chez un équidé. Marc Braccagni l’a loué à Guillaume Levesque, l’entente a été rapide (le duo n’a réalisé qu’une saison ensemble – Marc étant âgé de 16 ans – bouclée par une sélection aux championnats d’Europe de Freudenberg, en Allemagne, en 2007, ndlr). Au début, j’étais davantage focus sur Marc et le fait qu’il soit performant sur Jimmerdor. À cette époque, je continuais de monter et je me disais à chaque fois, « quelle personnalité ! ». Jimmerdor était un poney avec lequel il fallait toujours négocier, tout en jouant sans jamais le contraindre. Il demandait beaucoup de soins, il était assez fragile. Mon fils, Babou (Baptiste Lecomte, ndlr), son cavalier suivant, me rappelle encore aujourd’hui les trois heures de soins, puis l’heure de douche suivie du massage (rire !). Mon plus beau souvenir de Jimmerdor qui, pour moi, caractérise le mieux sa personnalité, est lorsqu’il sort de la piste du championnat de France Grand Prix Elite, en 2008, où il est sans-faute. Il croise le dernier cavalier de l’épreuve qui, lui, rentrait sur la piste. Si ce dernier faute, Babou et Jimmerdor sont champions de France. Lorsque les deux poneys se sont croisés, Babou était complétement décontenancé… Jimmerdor a couché les oreilles, et a ouvert une bouche énorme. Il s’est précipité pour attaquer l’autre poney qui rentrait en piste ! Je regarde souvent cette vidéo et ça continue de nous faire rire, comme si Jimmerdor lui disait : « C’est moi qui gagne ! ». Résultat, ils nous ont ramené le titre et ont récidivé l’année suivante ! Puis, Babou s’est blessé et est devenu trop grand alors Antoine Laye l’a récupéré sous sa selle à condition que je supervise ce couple. Enfin, j’ai arrêté d’entrainer Jimmerdor lorsqu’il est arrivé aux côtés de Mégane Moissonnier car elle est basée dans le sud de la France.
C.O-L : Sur le coup, je ne les ai pas vécues comme j’aurais dû les vivre. J’étais mère avant d’être coach et j’ai toujours été persuadée que l’équitation est une bonne école pour la vie. Alors, je leur offrais de mon mieux la possibilité de faire du haut niveau avec les poneys que j’avais, ma technique et mon métier. Coach et mère à la fois a été une fusion et une relation hors norme que j’ai pu former avec mes enfants.
C.O-L : Oui ! D’abord, tous les enfants de l’équipe de France sont entourés de sophrologues lors des stages fédéraux : c’est le protocole. Puis, c’est rentré dans mes mœurs. J’expliquais à mes cavaliers qu’il serait bien de faire de la sophrologie en parallèle pour travailler le mental. Avec la formation que j’ai faite, j’ai mis en place un enseignement où je suis dans la recherche de la sensation du corps du cavalier : faire rentrer l’équitation par le corps. Je pars du principe qu’on travaille le corps du cheval donc, sur un parcours, en moins de deux minutes, le cavalier doit avoir perçu tout ce dont le cheval a ressenti d’agréable ou non pour avoir une réaction immédiate. Par exemple, le cheval a fait un gros saut alors il faut tout de suite remettre du galop. J’utilise toujours le premier saut d’une séance, que j’appelle « le saut qui parle » pour analyser les comportements de chacun puis j’en discute avec le cavalier afin de connaître ses sensations. Ça donne un travail bien plus constructif qu’une dictée « fais ci, fais ça ». Là, je veux vraiment que le cavalier ressente tout. J’utilise aussi la vidéo faite par les parents. On monte les chevaux, on travaille tous ensemble la semaine. Lorsqu’on les lâche en piste, c’est comme si on les lâchait dans la vie. J’ai un côté maternel avec eux, ce n’est pas un couple mais un trio. Il m’est déjà arrivé que le cavalier me dise lui-même avant son entrée en piste « Ne t’inquiète pas Cathy, ça va aller » !
C.O-L : J’ai été surprise de voir à quel point les chevaux étaient calmes, ils ne grattaient plus, ne tapaient plus dans les portes de boxes. Il y a vraiment une pression qui s’est relâchée, c’était très agréable ! Quant à mes élèves, je ne pouvais pas forcément me déplacer chez eux, mais je donnais des exercices à réaliser comme je l’ai fait avec Lou-Eden Commenge, une cavalière dont je m’occupe pour la partie saut d’obstacles et qui a des parents dresseurs. Ce confinement a été une expérience intéressante, on va voir comment vont revenir les chevaux mais pour certains, ils sont vraiment apaisés. Je ne vois pas ça comme une année de perdue, sauf pour les cavaliers qui ont 16 ans comme par exemple ma cavalière Axelle Lartigue. Ça a été très dur, mais mon rôle est de lui expliquer que c’est la vie, qu’il y a un avenir à cheval, que le temps n’a pas été perdu. Il y a des choses bien plus graves puisque toute la planète a été touchée.
P.A : Avec plus de 20 ans d’expérience sur les épreuves nationales, internationales et européennes à poney, comment analyses-tu l’évolution du circuit ?
C.O-L : Il y a une vraie évolution dans l’équitation à poney ! Les cavaliers montent pour la plupart des poneys ayant les qualités des grands chevaux, l’élevage a énormément progressé. Les éleveurs ont modernisé les poneys en apportant de grandes origines cheval. Avant, il y avait des poneys lourds avec lesquels il fallait galoper et mettre beaucoup de jambes. Aujourd’hui, il faut effectivement avoir du galop mais avec un équilibre, de la précision et demander les choses au bon moment. Je trouve que c’est très bien pour l’avancement de notre sport. Autre chose que je constate sans jugement. Avant, nous manquions de bons poneys et on courrait après les éleveurs : maintenant il nous manque des cavaliers. Alors, ce sont les professionnels qui exploitent les poneys des éleveurs ce qui est une double peine pour ces derniers : le coût de l’élevage et le coût de l’exploitation. Voilà ce qui explique également les tarifs de plus en plus hauts. Je pense qu’à terme les cavaliers de 15/16 ans n’auront plus leur place à poney car ils deviennent souvent trop grands et sont déjà en train de réaliser leur passage à cheval en parallèle. Pourquoi pas, sur le long terme, n’ouvrir les épreuves internationales qu’aux pilotes de 12 à 14 ans (aujourd’hui, les épreuves internationales sont ouvertes aux cavaliers de 12 à 16 ans, ndlr) ? Mais je pense aussi que les poneys se sont améliorés au niveau du sang et de la modernité du corps grâce à ce fait : les cavaliers sont à cheval et à poney en même temps.
C.O-L : Je ne sais pas si c’est réellement plus facile mais financièrement, bien sûr ! Acheter un cheval d’une pierre de coup est plus simple que d’acheter et de revendre un poney puis de passer à cheval. En revanche, je trouve que le haut niveau à poney est accessible. En effet, le prix des poneys a énormément augmenté et cela devient peut-être plus adapté à des personnes qui peuvent se le permettre. Mais, ça a toujours été plus ou moins le cas. Avant, c’était une fierté de faire du haut niveau. Maintenant, je pense que si les épreuves se rapprochent du haut niveau à cheval comme lors des CSI 5* d’Equita’Lyon, Bordeaux ou des Longines Masters, cela peut redonner l’envie aux jeunes et à leurs parents. C’est une chance pour les enfants. J’ai d’ailleurs changé d’avis à ce propos, je pensais que les poneys n’auraient pas tellement leur place parmi les grands, qu’ils seraient perçus comme les petits avec des épreuves à 8 heures… Finalement, ils sont très bien intégrés !
P.A : Plus généralement, toi qui as voyagé à travers les générations et appris à monter avec une méthode dite « l’école armée », comment perçois-tu l’équitation aujourd’hui ?
C.O-L : Je pense qu’aujourd’hui les cavaliers en ont marre de se faire crier dessus et veulent de l’interactivité avec leurs entraineurs. À mon époque, les moniteurs levaient les yeux au ciel quand on demandait des précisions, donc j’ai ressenti ce sentiment où la parole n’a pas sa place face à une école de l’armée. Nous devions exécuter, point. On ne discutait pas, point. De nos jours, le monde avance vers une ouverture avec le désir d’apprendre à se faire plaisir sans la pression, ce qui ne veut pas dire qu’on n’a pas envie de gagner, mais avec une saine pression. Nous sommes également dans une génération où les réseaux sociaux ont une place importante dans notre quotidien : tout se sait, tout s’entend et tout s’interprète. Nous sommes aussi devenus plus respectueux des chevaux avec plus de soins, de meilleurs sols et installations… On se rend compte qu’on demande une activité à un équidé qui ne l’a jamais demandé. Alors, le faire avec bien-être et plaisir rend la notion de couple encore plus vraie qu’elle ne l’est.
C.O-L : Cette photo représente Babou et Jimmerdor lors d’une remise des prix sur un CSIP en Hollande. Il avait retiré sa bombe pendant que retentissait la Marseillaise tout en se penchant sur le côté et regardait son poney. Jimmerdor fait de même habillé de son tapis bleu blanc rouge. Cette photo est très touchante !