Tony Cadet : « Il faut que le jeune cavalier soit dans une structure professionnelle pour réussir »
Parce qu’il est l’un des précurseurs du haut niveau à poney en France, l’entraineur et cavalier professionnel Tony Cadet a fourni aux cavaliers des poneys capables de courir les Grands Prix organisés dans les années 1990. Parti de rien, à quarante-huit ans, le breton est aujourd’hui à la tête de ses propres écuries et a participé à son premier CSI 5* l’an passé. Retraçons avec lui son parcours.
Poney As : Cavalier professionnel et entraineur, comment est venue votre passion pour les chevaux et celle de transmettre ?
Tony Cadet : J’ai commencé à monter à l’âge de dix ans en faisant une balade en Camargue avec mes parents puis, j’ai demandé à être inscrit au club à la rentrée. Je ne suis donc pas issu d’une famille du milieu équestre : j’ai tout construit moi-même. J’ai participé à ma première compétition à mes quatorze ans. Deux ans plus tard, j’ai décidé d’arrêter l’école afin de me consacrer pleinement aux chevaux. Je suis allé monter chez un cavalier plus d’un an avant de travailler dans un poney-club proche de chez moi. Trois cavalières ont souhaité mettre leurs poneys dans mes installations ; c’est ainsi que tout a commencé. Je suis donc basé en Bretagne, à Guingamp, depuis mes 18 ans. Je ne connaissais pas du tout ce circuit à poney car j’ai toujours monté à cheval. C’est vrai que ça a été la révolution dans la région lorsque je suis arrivé avec des poneys tondus et nattés et comptais les distances dans les lignes (rires !). Mais tout a vite évolué ! A cette époque (Tony évoque les Grands Prix des années fin 90, ndlr), les cavaliers étaient très peu par épreuve. Il y avait par exemple Pierre-Alain Mortier et son père ou encore André Bonneau avec sa fille Mélanie. Nous avons en quelque sorte fourni les poneys pour ce circuit à cette époque. Transmettre a toujours été assez facile pour moi. J’ai eu beaucoup d’élèves à poney comme à cheval sur le circuit Jeune à l’instar de Régis Bouguennec qui est maintenant cavalier chez Pénélope Leprevost ou encore Mathieu Laveau, deux fois champion de France en Pro 1. Ma plus belle victoire en tant qu’entraineur à poney était en 1992, j’avais treize élèves en finale des championnats de France dont certains ont été champions en D2 et D1. Il n’y avait pas les catégories que l’on peut voir aujourd’hui : ces moments avaient une vraie saveur.
P.A : Que retenez-vous de ce circuit à cette époque ?
T.C : J’ai vécu en fin de compte toute la progression de Simon Delestre. Je tiens à souligner la manière dont Marcel Delestre, son père, a créé la carrière de son fils jusqu’à ce qu’il devienne numéro un mondial, du début jusqu’au moment où il s’est écarté de tout ça. J’ai trouvé ça assez beau et exemplaire ! C’est vraiment un grand coup de chapeau qu’on peut lui tirer. J’étais présent lors de ses premiers Grands Prix à douze ans, j’ai tout suivi et je le suis encore aujourd’hui. À cette période, nous recherchions déjà beaucoup de poneys avec la qualité des chevaux autant par l’amplitude que l’équilibre. Je devais entre guillemets fournir les poneys pour ces épreuves naissantes, j’allais sur les concours ouverts à tous pour les repérer. J’avais remarqué que l’étalon Hadj A avait sailli des ponettes et produisait bien. Je me souviens avoir passé des soirées sur mon minitel pour trouver ses produits et les acheter. Internet n’était pas encore si accessible (rire !). Cette année, nous aurions dû fêter les 20 ans du Bonneau International Poney, mais le concours a été annulé à cause de la crise du Covid-19. Nous devions passer un bon moment avec tous les anciens de l’époque entre André Bonneau, Pierre-Alain Mortier, Vincent Ravard, Marc Hardy… C’était notre groupe et nous avons tous gardé de très bons liens !
P.A : Quel analyse pouvez-vous faire de l’évolution du circuit à poney ces dernières années ?
T.C : Je n’ai plus de cavaliers à poney, ma fille de onze ans y arrive petit à petit mais, je donne beaucoup de stages l’hiver. Des cavaliers sont à poney donc je reste tout de même assez informé. Je me rends compte qu’aujourd’hui, emmener des élèves en concours a une part très commerciale. Pour les écuries, il faut remplir le camion bien que certains n’aient pas le niveau. Lors des Tournée des As, nous pouvons voir de tout. Celui qui gagne n’est pas toujours celui qui a le mieux monté, pourtant les autres voudront reproduire ce qu’il fait… Alors, regrouper le haut niveau avec des Super As lors des étapes du Grand National comme initialement prévu cette année est une très bonne idée. Il en est de même pour les CSI 5* qui ouvrent des épreuves pour les poneys comme à Bordeaux, Equita’Lyon ou Paris ! Ces élèves vont se retrouver dans des circuits où les cavaliers sont professionnels et vont bien monter, ils vont être orientés vers des écuries où l’enseignement va être meilleur. Regarder ces cavaliers à cheval leur permettra d’apprendre davantage.
P.A : D’après vous, est-ce un circuit qui va vers la professionnalisation du cavalier ?
T.C : Totalement ! Il faut que le jeune cavalier soit dans une structure professionnelle pour réussir. Mettre les meilleurs pilotes du circuit dans les étapes de Grand National ou lors des CSI chevaux est important. Ils peuvent en parallèle monter sur d’autres épreuves et préparer le passage à cheval. On voit d’ailleurs beaucoup plus d’enfants arriver avec des grooms, de bons coachs, de gros camions et des partenaires qu’ils rencontrent grâce à ces épreuves justement. Mais, il est tout autant normal que le circuit Poney soit concurrencé par celui des Enfants. Par exemple, les professionnels préfèrent mettre rapidement leurs enfants à cheval pour pouvoir aller ensemble en concours. Voilà pourquoi il est tout aussi bien de mettre des Super As au lieu de mettre des épreuves 1,25 m qui nous permettent plutôt de remplir les camions. En allant dans ce sens, je pense que les cavaliers à poney auront davantage l’envie de rester plus longtemps sur ces épreuves.
P.A : Vous traversez également l’océan vers les États-Unis pour entrainer des cavaliers et monter à cheval…
T.C : J’y vais de plus en plus l’hiver, lorsque le rythme ralentit en France, la saison débute là-bas. J’ai des clients américains qui ont principalement des jeunes chevaux en formation ici pour la commercialisation que nous vendons ensuite aux États-Unis. J’ai aussi quelques demandes pour monter là-bas car, ici il n’est pas facile d’avoir des chevaux. J’ai la réputation d’y arriver avec des chevaux difficiles. J’essaie de profiter un maximum de cette ouverture là.
P.A : Quelle est la place du poney de sport de l’autre côté de l’Atlantique ?
T.C : Il y a beaucoup de poneys mais pour des petits enfants ! Il n’y a pas de haut niveau, la mentalité n’est pas la même. Les enfants ont des poneys parce qu’ils sont petits et apprennent en se faisant plaisir. Il n’y a pas forcément de chronomètre dans chaque épreuve et les cavaliers ont un flot lorsqu’ils sont sans-faute. On voit les grooms longer les poneys le matin afin qu’ils soient sages et sont nattés, c’est très mignon ! Mais lors des tournées, il y a toujours des épreuves pour les poneys à 90 cm, 1m. Pour sauter de plus grosses barres, il faut passer à cheval.
P.A : L’année dernière, vous étiez le seul cavalier breton à prendre le départ du CSI 5* de Dinard, votre premier d’ailleurs. Quelle expérience en avez-vous tiré ?
T.C : Tout s’est assez vite enchainé en réalité car en mai, j’ai couru ma première Coupe des nations CSIO 3* à Drammen, en Norvège, où je suis double sans-faute puis juste après, mon premier CSI 5* à Dinard… où je gagne la première épreuve 5* de ma vie ! Au moins, je pourrais dire ça (rire !). Comme j’ai expliqué, j’ai commencé de zéro, je travaille tous les jours pour performer. Ça a été une grande satisfaction. J’avais la chance d’avoir deux très bonnes juments Tolède de Mescam Harcour et Uppsala Del Cabalero puisqu’à la suite, j’ai participé à la Coupe des nations de Rabat lors du Morocco Royal Tour. Je suis très content d’être arrivé à ce niveau mais rien n’est simple. Au retour du Maroc, Tolède est partie chez Kévin Staut et je n’ai pas eu d’autres propositions pour monter de bons chevaux. Voilà aussi pourquoi je m’oriente vers les États-Unis afin de poursuivre ma carrière à un bon niveau avec des bons chevaux.
Propos recueillis par Léa Tchilinguirian